Crédit d’impôt compétitivité-emploi : les entreprises font leurs calculs
Depuis la publication, il y a un mois, des modalités définitives du crédit d’impôt compétitivité-emploi, les entreprises commencent à calculer le montant qu’elles pourront percevoir. Les résultats sont très contrastés selon la structure de leur masse salariale… et l’impact difficile à mesurer rapidement puisqu’il sera différé dans le temps.
FISCALITE
Campagne de publicité à la radio, remise des premiers chèques de préfinancement aux entreprises devant les caméras… Le mois dernier, le gouvernement a lancé en grande pompe le crédit d’impôt compétitivité-emploi (CICE), outil phare des apolitique de relance de la compétitivité des entreprises françaises. Ainsi, le cas de l’entreprise Cheynet & Fils, une PME industrielle auvergnate (34 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012), qui a reçu une avance supérieure à 300 000 euros sur son futur crédit d’impôt pour l’exercice 2013, a été particulièrement médiatisé. De quoi inciter les directions financières à se pencher à leur tour sur le montant du CICE auquel elles pourraient prétendre. Celui-ci leur permettra en effet de déduire du montant de l’impôt qu’elles devront payer en 2014 au titre de l’exercice 2013 4% de la rémunération brute versée à leurs salariés, dans la limite de 2,5 fois le Smic, soit 42 906 euros annuels par salarié. Et, dès l’année prochaine, le taux de ce crédit d’impôt sera porté à 6%.
Bonne surprise, l’exercice est plus facile qu’elles ne pouvaient le craindre. Contrairement aux premiers commentaires lors de l’annonce de la création du dispositif, ce dernier n’est pas l’usine à gaz redoutée. « L’administration fiscale a rappelé, dans son instruction, que l’obtention du crédit d’impôt n’était pas conditionnée à l’utilisation qui pourrait en être faite», souligne Anne Colmet Daâge, avocat associé chez Ernst & Young, Société d’Avocats. En outre, le calcul en tant que tel est lui aussi plus simple qu’anticipé. « Les services des ressources humaines de notre société ont déjà commencé à établir une estimation du montant du CICE, puisque celle-ci doit désormais figurer dans les déclarations mensuelles que nous transmettons à l’Urssaf, explique le secrétaire général d’une ETI de la région lyonnaise. Dans l’ensemble les éléments de rémunération pris en compte en tant que salaires éligibles et les règles de calcul sont très similaires à ceux déjà en vigueur pour le dispositif Fillon d’allégement de charges sociales sur les bas salaires. En outre, la plupart de nos employés percevant une rémunération inférieure à 2,5 Smic étant salariés à temps complet, nous n’avons pas eu de difficultés particulières liées à des calculs de plafond ».
«Le dispositif aurait eu plus d’impact psychologique s’il s’était traduit par une diminution mensuelle de nos prélèvements sociaux ».
Pierre-Yves Hentzen, directeur administratif et financier, Arkoon Network Security
Un calcul plus simple qu’anticipé
En effet, certaines situations peuvent nécessiter un traitement spécifique, notamment pour les secteurs du BTP ou de la distribution où les horaires décalés et le fractionnement du temps de travail sont courants. L’éligibilité de la rémunération d’un salarié au crédit d’impôt recherche doit alors être déterminée en fonction de son temps de travail effectif. Si ce dernier a effectué des heures supplémentaires, celles-ci viendront augmenter le plafond. En revanche, pour les salariés à temps partiel, un prorata devra être calculé. Ce sera également le cas pour ceux qui ont connu des périodes d’arrêt maladie. Cependant réaliser les retraitements nécessaires ne devrait pas poser trop de problèmes. Comme c’est déjà le cas, là encore, pour le dispositif Fillon, les éditeurs de logiciels de paye sont entrain de finaliser des mises à jour de leurs produits afin d’automatiser les processus.
Ces dernières devraient être prêtes d’ici la fin du mois ou au début du mois prochain. «Ces correctifs permettront aux entreprises de disposer de données fiables sur le montant de leur crédit d’impôt au 31 décembre 2013, explique Christine Clérin, associée chez Primexis. Le seul point encore incertain concerne la capacité de ces logiciels à prendre en compte rétroactivement et automatiquement les salaires qui auront été versés depuis le début de l’année ».
Un accueil parfois mitigé
En attendant, les entreprises peuvent déjà obtenir une idée assez fine de l’avantage que représentera pour elles le CICE. «Pour les salaires inférieurs à 2,5 Smic, le CICE va apporter un réel allégement en matière de coût du travail, témoigne Olivier Gignoux, directeur du pôle RH chez Alma Consulting Group. Dans le cas d’un salarié rémunéré à 2,5 SMIC, le crédit d’impôt devrait s’élever à 1716 euros pour l’année 2013 ». Pour un salarié au Smic, ce montant atteindra 686 euros. Mais ce dernier se cumulera alors avec l’allégement Fillon, qui est de 4 462 euros pour une année. Dans certains groupes, l’obtention de ce crédit d’impôt pourrait donc apporter un véritable ballon d’oxygène. «D’après nos premiers calculs, le niveau de notre crédit d’impôt devrait représenter 1% de notre masse salariale, explique le directeur financier d’une PME industrielle ayant réalisé l’an dernier 190 millions d’euros de chiffre d’affaires. Cela constitue un atout non négligeable, d’autant que, dans l’attente de la publication des modalités définitives, je n’avais pas pris en compte le CICE dans le cadre de l’élaboration de notre budget. Nous songeons même à procéder à quelques embauches ».
Toutefois, cet enthousiasme n’est pas partagé par tous les directeurs financiers. «L’un des défauts de ce crédit d’impôt, c’est que son obtention est binaire, explique le responsable financier d’un prestataire de service. Soit le salaire concerné est en dessous de 2,5 fois le Smic, et il entre dans l’assiette du CICE, soit il est au-dessus, et nous ne percevons rien. Or, chez nous, les rémunérations sont assez élevées. Nous aurions donc préféré un dispositif d’allégement qui s’applique à l’ensemble des charges sociales, quelque soit le montant du salaire ». En effet, ce dispositif favori se largement les entreprises ayant recours à une main-d’œuvre peu qualifiée, et donc aux salaires plus bas, au détriment d’autres secteurs d’activité, notamment ceux liés à l’innovation. « Nous employons majoritairement des cadres et des ingénieurs, dont la rémunération moyenne est supérieure à 2,5 fois le Smic, témoigne ainsi Pierre-Yves Hentzen, directeur administratif et financier du spécialiste de la sécurité informatique Arkoon Network Security (13 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2012). D’après nos calculs, le montant du CICE auquel nous allons avoir droit s’élève ainsi à 40 000 euros, ce qui n’est pas significatif pour nous, et n’aura malheureusement pas d’impact direct, ni sur nos embauches, ni sur nos investissements ». Comme ce dernier, de nombreux directeurs financiers regrettent le choix retenu par le gouvernement de mettre en place un crédit d’impôt plutôt qu’une réduction directe des charges sociales, qui aurait été bien plus lisible. « Rapporté au montant total des impôts que nous payons, ce crédit d’impôt sera peu perceptible en termes de baisse de coût du travail. Même si nous avions bénéficié d’un montant similaire, le dispositif aurait eu plus d’impact psychologique s’il s’était traduit par une diminution mensuelle de 3 300 euros de nos prélèvements sociaux », regrette Pierre-Yves Hentzen.
«L’administration fiscale a rappelé, dans son instruction, que l’obtention du crédit d’impôt n’était pas conditionnée à l’utilisation qui pourrait en être faite ».
Anne Colmet-Daage, avocat associé, Ernst & Young Société d’Avocats
UN SIMULATEUR POUR COMPARER CICE ET HAUSSES D’IMPÔT
Lors du lancement du CICE, le gouvernement a organisé une campagne radiophonique mettant en scène des chefs d’entreprise se félicitant de pouvoir embaucher de nouveaux salariés grâce au crédit d’impôt. Une affi rmation qu’a voulu vérifier l’Asmep-ETI, le syndicat des entreprises de taille intermédiaire.
«Le CICE est censé redonner de la compétitivité aux entreprises françaises en venant contre balancer les hausses de charges sociales et fiscales qu’elles ont subies au cours des dernières années», explique Alexandre Montay, délégué général de l’Asmep-ETI. Le syndicat a donc mis en ligne – sur le site vrai-calcul-cice.fr – son propre outil de calcul, qui prend en compte une liste exhaustive des impositions et charges sociales payées par les entreprises. «Celui-ci permet aux dirigeants et aux Directeurs financiers d’estimer le montant du CICE qu’ils percevront en 2013et 2014, et de le mettre en parallèle avec la hausse des prélèvements fiscaux et sociaux sur période 2012-2014, poursuit Alexandre Montay. Ils peuvent ainsi déterminer si le solde entre ces deux montants leur permet effectivement d’embaucher ou d’investir ». Les premiers résultats ne sont guère concluants. D’après les témoignages d’utilisateurs recueillis par l’Asmep-ETI, par exemple, une société de l’industrie bancaire et financière enregistre une hausse de prélèvements 29 fois supérieure au montant de son futur CICE. Sans atteindre ces extrêmes, des entreprises appartenant à des secteurs différents et employant entre 200 et 500 personnes estiment pour leur part qu’elles percevront un crédit d’impôt 4 à 5 fois inférieur à la hausse des prélèvements subis en 2013. Bien sûr, ces proportions dépendent à la fois de la structure de la masse salariale de l’entreprise, des taxes locales qu’elles payent en fonction de leur implantation géographique, et de certaines de leurs pratiques, notamment en matière de compléments de rémunérations. « Nous sommes un groupe industriel qui emploie majoritairement des salariés percevant un salaire inférieur à 2,5 fois le Smic, et par conséquent nous pouvons nous considérer comme bien lotis par le dispositif, témoigne ainsi le directeur administratif et financier d’une PME ayant réalisé l’an dernier un chiffre d’affaires de 90 millions d’euros. Pour autant, le montant auquel nous aurons droit pour 2013 est légèrement inférieur au niveau des prélèvements supplémentaires que nous subirons cette année ». Et si l’on observe la période 2011-2013, c’est-à-dire depuis l’entrée en vigueur des premières mesures du plan de rigueur Fillon, complétées par l’ensemble des hausses décidées par le gouvernement actuel, le chiffre est encore plus faible, de l’ordre de 60 %. «Nous avons été principalement affectés par la hausse du forfait social, qui est passé brutalement de 8 % à 20 % l’été dernier, poursuit ce directeur financier. Comme nous avions une politique assez généreuse en matière de participation, le surcoût lié à cette hausse atteint 190 000 euros !»
«Avec cet outil, les entreprises peuvent déterminer si le solde entre le CICE et les hausses de prélèvements leur permet effectivement d’embaucher ou d’investir ».
Un premier dispositif de préfinancement
D’autant, qu’en outre, l’effet du crédit d’impôt subira un décalage dans le temps. Le CICE pour 2013, par exemple, ne sera acquis qu’au moment de l’établissement de la déclaration d’impôt sur les sociétés, soit… en avril 2014! Et, dans la plupart des cas, il ne se traduira pas directement par un apportent trésorerie. En effet, seules les PME –définies par l’Union européenne comme possédant moins de 250 salariés et affichant un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros – et certaines sociétés (notamment celles qui sont déficitaires) pourront alors en demander un paiement immédiat à cette date. Les autres entreprises devront, comme pour tout crédit d’impôt, l’utiliser pour payer leur impôt sur la société. Ce n’est qu’au bout de trois ans qu’elles pourront demander un remboursement d’un éventuel reliquat. Pour pallier cet inconvénient, un dispositif de préfinancement a été mis en place. Il permet d’obtenir dès maintenant un prêt correspondant à 85% du montant du crédit d’impôt pour 2013, sur la base d’une estimation du montant de ce dernier validé par l’expert-comptable ou le commissaire aux comptes de la société.
«Dans le cas d’un salarié rémunéré à 2,5 SMIC, le crédit d’impôt devrait s’élever à 1716 euros pour l’année 2013.»
Olivier Ginoux, directeur du pôle RH, Alma Consulting Group
Un plafond «couperet»
Parmi les reproches formulés à l’égard du CICE, les entreprises regrettent son côté très binaire. Si la rémunération d’un salarié excède, même de quelques euros, le plafond de 2,5 fois le Smic, cette dernière sera exclue de la base de calcul du crédit d’impôt, sans qu’aucun système n’atténue cet effet de seuil en permettant de toucher une partie du CICE, par exemple. Certains spécialistes mettent d’ailleurs en avant un risque de plafonnement des salaires proches du haut de la fourchette d’éligibilité. « Comme le calcul du plafond prend en compte les bonus ou les avantages en nature, les entreprises vont se montrer très attentives à leur montant, souligne Christine Clérin, associée chez Primexis. Elles ne voudront pas qu’une prime de fin d’année, par exemple, fasse perdre le bénéfice du crédit d’impôt sur la totalité de la rémunération du salarié!» Fiscalistes et comptables pointent également le risque que fait naître la double nature fiscale et sociale de ce dispositif. «Si, lors d’un contrôle de l’Urssaf, certains remboursements de frais excessifs, par exemple, sont requalifiés en salaires, et ont pour effet de porter la rémunération de leur bénéficiaire au delà du seuil de 2,5fois le SMIC, cette rémunération ne sera plus éligible au CICE», explique Anne Colmet Daâge, avocat associé chez Ernst & Young Société d’Avocats. Or, comme ces vérifications auront lieu après l’obtention du crédit d’impôt, l’entreprise pourrait être amenée à rembourser le trop-perçu.
Celui-ci est garanti par une cession à l’établissement prêteur de la créance fiscale future. A l’heure actuelle, seul Oséo propose ce dispositif. Toutefois, il ne pourra pas assurer l’ensemble du préfinancement potentiel du CICE. Les banques commerciales devraient donc à leur tour mettre en place des produits similaires, mais ces derniers sont toujours en cours d’élaboration. Dans ce cadre, la banque publique des PME n’apportera qu’une garantie correspondant à 50% du montant avancé.
Mais quel que soit l’établissement prêteur, ce dispositif aura un coût. Chez Oséo, par exemple, le taux d’intérêt est compris entre 3 et 4 %, inférieur, d’après la banque, à la rémunération d’un découvert bancaire classique. De quoi décourager certaines entreprises. « Nous disposons d’une trésorerie excédentaire, explique ainsi un directeur financier de PME. Nous préférons donc attendre le versement du CICE plutôt que de demander un tel prêt ». Toutefois, un peu plus d’un mois après son lancement, le dispositif connaît des débuts prometteurs. « Le 22 mars, nous avions déjà enregistré plus de 1 200 demandes, venant de toute la France, et portant sur un total de300millionsd’euros, explique Eric Champenois, directeur gestion du financement court terme chez Oséo. 200 ont déjà été accordées, 500 autres sont en phase finale de traitement et le reste est en cours d’examen ».
Toutefois, la plus grande déception des entreprises vis-à-vis de ce dispositif concerne son faible impact… si on le compare aux hausses d’impôts croissantes subies par les entreprises au cours des dernières années. Ainsi, même s’il soulage, partiellement les sociétés de leurs charges, le crédit d’impôt ne sera pas suffisant pour renforcer la compétitivité des entreprises françaises, ni apriori l’attractivité de la France aux yeux des sociétés étrangères. « Il est trop tôt pour calculer l’impact qu’aura le CICE sur les décisions d’implantation de groupes internationaux, puisqu’il vient tout juste d’entrer en vigueur », souligne Marc Lhermitte, associé chez Ernst & Young. De leur côté, les directions financières et les directions générales attendent des pouvoirs publics qu’ils prennent des réformes plus profondes qui permettent d’alléger significativement le coût du travail, en cessant notamment de faire financer par les entreprises les allocations familiales.
Guillaume Benoit