Défis et opportunités en immobilier
Interview Daniel Wickers et Alexis Gasto
au MIPIM 2024
Lors du MIPIM 2024, Daniel Wickers et Alexis Gasto, associés chez Primexis spécialisés en conseil comptable et financier, ont partagé leur vision lors d’une interview avec le journaliste Fabrice Cousté. Ils ont abordé plusieurs sujets, tels que l’impact des taux d’intérêt sur le coût de la dette, la tendance à la baisse des valorisations des actifs immobiliers, ainsi que l’émergence de l’immobilier vert en tant que moteur dans le secteur.
Est-ce que vous pouvez nous présenter Primexis ?
Alexis : Primexis est un cabinet de conseil opérationnel et d’expertise comptable spécialisé, basé à Paris La Défense, un site unique qui regroupe environ 400 collaborateurs. Nous offrons une expertise comptable spécialisée, notamment dans le secteur immobilier. Nous accompagnons une clientèle diversifiée, comprenant des gestionnaires d’actifs, des investisseurs et des sociétés de gestion de portefeuille, tant nationaux qu’internationaux.
Et ça fait 46 ans que ça dure ?
Alexis : Je n’ai pas la prétention de dire que j’étais là dès le début, bien évidemment. Mais on a la chance d’avoir une vraie stabilité dans les équipes de direction, également dans nos équipes de management au sens large, et on a une vraie confiance de nos clients qui sont essentiellement des grands comptes. L’expert-comptable est souvent comparé au médecin généraliste des entreprises. Nous, en tant qu’experts-comptables spécialisés, pourrions être comparés à des spécialistes comme les ophtalmologistes ou les cardiologues.
Quelques chiffres clés de Primexis ? Quelle taille aujourd’hui, quelle dimension ?
Alexis : Nous avons 400 collaborateurs et 50 millions de chiffre d’affaires en 2023, une croissance d’environ un peu plus de 13 %, donc très encourageante pour la suite. Et une croissance, je le souligne, uniquement organique.
Que vient faire un cabinet d’expertise comptable au MIPIM ?
Daniel : En effet, ça peut être surprenant. Comme Alexis l’a dit, nous avons une vraie spécialité immobilière chez Primexis. Nous avons plus de 20 ans d’expérience dans ce domaine. Nous sommes 4 représentants de Primexis au MIPIM, Alexis Gasto et moi-même, notre directeur Jack Capps et Selim Boutaleb, un jeune manager, pour lequel c’est la 2ème participation. Nous venons régulièrement, c’est en effet notre 17e participation.
Pourquoi sommes-nous là ? Pour rencontrer les acteurs de l’immobilier. On a la chance en France d’avoir ce magnifique festival de l’immobilier à Cannes et nous sommes là pour rencontrer nos clients à la fois français, nos clients internationaux, et tous nos partenaires qui gravitent autour du monde de l’immobilier.
J’imagine que le carnet de rendez-vous est déjà bien garni pour ces 4 jours ?
Daniel : C’est bien ça, donc les partenaires ça peut être des avocats Conseil, des avocats fiscalistes, des assets managers, tous ceux qui gravitent aujourd’hui autour du monde de l’immobilier.
Quels services propose Primexis à l’ensemble de ses clients ?
Daniel : Les services que nous proposons sont la gestion de fonds immobiliers (Investment Real Estate), le Transaction Services, tout ce qui est assistance à l’acquisition et la cession de structures immobilières ainsi que le conseil (Real Estate Advisory).
En quoi consiste, par exemple, la gestion de fonds immobiliers, Investment Real Estate, dont vous assurez la direction ?
Daniel : Chez Primexis, l’Investment Real Estate représente 50 personnes, 2 associés et 3 senior managers, une très belle équipe qui ne fait que de l’immobilier. Notre quotidien, c’est la production d’une information financière fiable et dans les délais. C’est ce qu’attendent nos clients, quelle que soit la norme comptable internationale requise. :
Est-ce qu’il y a des challenges particuliers auxquels vous avez été confrontés cette dernière année ou ces dernières années ?
Daniel : Nos clients ont été surtout confrontés à un nouvel univers inflationniste. Je crois qu’en moins d’un an et demi, le taux EURIBOR est passé de zéro, quasiment négatif, à friser 4% aujourd’hui. C’est dû à plusieurs raisons, on est dans un environnement post-Covid, on a un grippage des flux logistiques internationaux qui génèrent une hausse des coûts, sans parler de la guerre d’Ukraine.
Le défi pour nos clients est de faire face aujourd’hui à des baisses de valeur en raison de la hausse des taux. Ceci entraîne une hausse de la charge d’intérêts et des problématiques qui peuvent se poser en termes de ratio d’endettement, le fameux Loan To Value (LTV).
Ils ont eu du coup des difficultés particulières ? On vient vous voir à ce moment-là pour réévaluer ces actifs ?
Daniel : Effectivement, c’est là où se joue notre rôle de conseil. Il y a des problématiques de dépréciation qui existent aujourd’hui, d’actifs et de titres de sociétés immobilières. Quasiment tous nos clients nous ont appelés, ou alors nous les avons alertés sur les problématiques comptables et fiscales sur ce point. Et un petit mécanisme qui existe actuellement en termes de déficit, c’est-à-dire lorsque la conjoncture ira mieux et qu’on reprendra de la valeur, il y a une problématique impôt qui peut se poser lors de la reprise des provisions.
On parle beaucoup aussi de la promotion immobilière qui est en crise. Que vous disent vos clients promoteurs ?
Daniel : Ce que nos clients promoteurs nous ont fait part il y a quelques mois, c’est une véritable difficulté à trouver des projets et à les financer. Un de nos clients m’a raconté une anecdote, où il est allé voir son banquier qui lui a dit « à partir du moment où vous commercialisez 80% de l’actif, on est prêt à vous financer », sachant qu’il apporte 20% en fonds propres. La conclusion c’est que les banquiers ne souhaitaient pas à cette époque financer ce type d’opération.
Un mot Alexis également des difficultés que peut rencontrer le monde de l’immobilier en ce moment ?
Alexis : Nous assistons régulièrement les assets managers et les investisseurs, et on peut dire qu’on est tous passé à la machine à laver ces derniers temps. On parlait du post-Covid, c’est quand même un changement d’utilisation des bureaux, donc le secteur tertiaire a beaucoup souffert. On parlait de l’inflation, de la guerre en Ukraine, mais on a également, pour nos amis investisseurs dans le tertiaire à Paris, le sujet du PLU bioclimatique, avec des sujets de réaffectation d’une partie des surfaces de bureaux pour les immeubles qui étaient pastillés.
En travaillant avec nos clients, notamment des fonds d’investissement, nous savons que lorsqu’une crise de la dette survient, les coûts d’emprunt augmentent. Cette situation entraîne une dépréciation de la valeur sous-jacente des biens immobiliers, ce qui pose des problèmes à certains de nos clients. Nous avons donc dû trouver d’autres solutions, comme le refinancement, c’est-à-dire aller renégocier la dette auprès des prêteurs tiers ou d’essayer de convaincre les investisseurs que ce n’était pas le bon moment pour vendre ou liquider le fond.
Nous accompagnons aussi nos clients dans l’élaboration des Business Plan, la préparation des assemblées générales et des conseils d’administration, la modification des règlements des fonds, ainsi que dans la renégociation ou l’identification de nouveaux partenaires bancaires pour refinancer l’ensemble de leur portefeuille.
On le voit dans cet environnement mouvant, complètement chamboulé avec ce nouveau paradigme des taux, peut-être qu’ils étaient allés trop bas. Aujourd’hui, ils sont assez élevés. Comment vous vous en sortez ?
Daniel : Notre activité se porte bien. Que nos clients aient des contraintes ou des opportunités, ils ont besoin de leurs conseils. Nous avons nombre d’opérations à traiter ces derniers mois avec nos clients, notamment la cession d’un actif Distressed pour un prix symbolique et toutes les problématiques comptables et fiscales qui se posent : d’abandons de créances, de right-off de l’actif et ce type de problématiques.
On parle maintenant de la deuxième division, tout ce qui est Transaction Services. Est-ce que vous pouvez nous en dire un mot ?
Daniel : C’est un peu le pendant des contraintes. On a aussi les opportunités, mais on a des clients qui se positionnent sur des actifs en difficultés. Généralement, notre activité de Transaction Services se concentre sur la proposition d’une formule de prix des parts, sur la négociation du prix, sur la revue des éléments d’actif et de passif de la structure cible. Dans un cas d’actifs où le prix est symbolique, le prix de départ est symbolique, on doit vraiment se concentrer sur la capacité de la structure, dans le futur, à générer des cashflows.
D’autant que la législation évolue rapidement ?
Alexis : Oui, elle évolue rapidement. Elle part d’un postulat très clair : peu de transactions sur 2023, des sujets de recettes fiscales au niveau des municipalités. Ça s’explique très brièvement par l’écart entre un Asset deal, où une partie de la recette fiscale va être perçue par la localité versus un Share deal où la recette fiscale est généralement perçue par l’État.
Dans la Loi de Finances 2024, il y a déjà un écrit qui stipule qu’il va être impératif de déclarer dans les actes de la transaction un certain nombre d’éléments lorsqu’on vend les parts de société, c’est-à-dire lorsque nous sommes en Share deal.
Nous, on y voit un premier pas, voire un retour en arrière éventuel, sur un changement d’assiette fiscale à venir plus tard. Ce n’est pas du tout confirmé, mais au regard des questionnements que l’on voit chez nos contacts dans diverses municipalités, on voit que le sujet de l’Asset deal versus Share deal revient sur la table, notamment sur l’assiette de taxation, puisque d’un côté vous taxez la valeur vénale de l’immeuble, de l’autre, vous taxez la valeur vénale des parts de la société. Donc le passif vient en déduction du prix des parts.
On va parler de l’activité conseil, Real Estate Advisory ?
Alexis : Nos consultants en conseil immobilier sont spécialisés dans ce domaine et interviennent principalement chez nos clients, couvrant toutes les fonctions d’une direction financière.
En plus des Transaction Services, dont Daniel a déjà parlé, notre offre comprend deux autres volets : le renfort opérationnel et le support opérationnel. Nous intervenons chez nos clients en cas de besoin, lors de pics d’activité, de remplacements ou pour de nouveaux projets.
Par ailleurs, en ce qui concerne les nouveaux projets, deux thèmes importants se démarquent actuellement. Premièrement, la refonte de la fonction finance, où nos clients cherchent des solutions pour améliorer la production d’informations financières. Deuxièmement, dans le domaine extra-financier, nous accompagnons nos clients dans deux aspects : la mise en place et le reporting des critères ESG ou de la finance durable.
C’est vrai que l’ESG, on en parle beaucoup, ces critères environnementaux, sociaux et sociétaux et de bonne gouvernance. Plus qu’une tendance, c’est vraiment ancré maintenant dans le paysage, on parle même de valeur verte des immeubles ?
Alexis : Exactement. D’ailleurs nous avons organisé récemment une conférence sur ce sujet. On avait un postulat de départ qui était très simple : fin 2021 et début 2022, peu ou pas d’impact de la valeur verte sur la valeur de l’actif, ou du moins au niveau des parties prenantes. À partir de 2022, cette tendance a été confirmée pour 2023, et désormais en 2024, c’est devenu un impératif.
Il est désormais impossible de prendre des décisions d’investissement sans considérer les critères ESG. Cela s’applique aux investisseurs, aux locataires, et surtout aux institutions financières qui fournissent les fonds.
Pour vos clients, comment ça se traduit ? Quels sont leurs enjeux ?
Alexis : Leurs enjeux, c’est très simple. Il y a la collecte d’un côté, donc réunir le capital, notamment lorsque vous êtes sur des fonds que l’on va appeler retail plutôt ouvert, mais ça vaut aussi pour des fonds fermés ou professionnels. Collecter l’argent, c’est clé ! Sans argent, vous ne pouvez pas investir. Il y a donc tout un effort à faire sur ce sujet-là.
Si on prend l’exemple du retail, dans le référencement des conseillers en gestion de patrimoine ou dans les distributeurs, vous ne pouvez pas présenter un nouveau projet sans une valeur verte ou sans un reporting ESG fiable, sans un règlement qui oriente l’investissement sur du Vert. Ça prend plusieurs formes. Notamment, pour les fonds français, cela se traduit souvent par l’obtention d’un label ISR, suivi d’une souscription en conformité avec la SFDR – Article 8, Article 8 hybride ou Article 9.
Vous les accompagnez comment ? C’est au niveau du reporting ESG en particulier ?
Alexis : Oui, en fait, le constat que l’on fait, c’est qu’il y a déjà un travail, de dégrossir les normes qui sont applicables à nos clients, qui sont différentes entre lorsque vous êtes une société de type Corporate ou lorsque vous êtes un fond. Corporate, c’est CSRD avec ESRS et de l’autre côté pour les fonds, ça va être plutôt SFDR ; plus bien sûr, un socle commun de réglementation, taxonomie, Loi Energie Climat etc.
Sur ce sujet-là, nous allons les accompagner dans cette démarche pour déterminer ce qui est applicable et surtout mettre en avant la valeur ajoutée que nous allons apporter. Cela implique de les guider dans le choix de la classification des fonds, notamment entre l’Article 8 et l’Article 9 de la SFDR.
À l’heure actuelle, nous constatons qu’il est plus judicieux de privilégier un Article 8 sur des bases solides, plutôt que d’opter pour un Article 9 et risquer par la suite un déclassement de son produit financier. En effet, en termes d’image auprès de toutes les parties prenantes, en particulier dans le domaine de l’immobilier, le choix d’un Article 9 pourrait entraîner une décollecte et une perte de confiance généralisée dans toute la chaîne de valeur immobilière.
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L’intégralité de l’interview est disponible sur la chaîne YouTube de Primexis.